Bien que l'on observe, durant cette crise sanitaire,  une diminution de certains délits, il n’en demeure pas moins que d’autres infractions : fraude, cybercriminalité, corruption, blanchiment de capitaux… se développent à l'échelle internationale
Internet, crime, cyber

L’ensemble de la communauté internationale se trouve aujourd’hui confronté à une crise sanitaire sans précédent. La pandémie de Covid-19 a paralysé l’économie de la planète et même les plus grandes puissances se trouvent dans l’impasse, en l’absence d’un traitement véritablement efficace ou d’un vaccin qui, selon les prévisions les plus vraisemblables, ne pourra être mis sur le marché qu’à partir du premier trimestre 2021.

 

Bien que l’on observe, durant cette crise sanitaire,  une diminution de certains délits, il n’en demeure pas moins que d’autres infractions : fraude, cybercriminalité, corruption, blanchiment de capitaux… se développent à l’échelle transnationale, prenant parfois de nouvelles formes et échappant le plus souvent au contrôle des services de répression. En réalité, les Etats ont tout simplement sous estimé les impacts de cette crise sanitaire et n’ont pas pris le soin de les inscrire parmi leurs priorités stratégiques.

Qu’en est-il des agences de renseignement ? Et quelle a été la dynamique des organisations internationales en cette crise, face à de nouvelles formes et typologies de criminalité ?

 

Le risque sanitaire : un enjeu complètement oublié des services de renseignement

« La prévision provient uniquement des renseignements obtenus auprès de ceux qui connaissent la situation de l’adversaire », propos repris de l’ouvrage « l’art de la guerre » de Sun Tse,  célèbre stratège chinois du IVe siècle avant notre ère.

Dans le contexte actuel, le Covid-19 est ce redoutable ennemi contre lequel il aurait fallu se prémunir ! En fait, le renseignement est censé récolter, exploiter et diffuser des informations à l’effet d’éclairer le pays et ses dirigeants dans leurs choix stratégiques et de prévenir la survenance de tout risque sécuritaire et économique. C’est pourquoi on ne comprend pas pourquoi les risques sanitaires ont été totalement délaissés, alors qu’ils s’apparentent à ceux spécifiques au bioterrorisme.

L’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) définit le bioterrorisme comme étant « la dissémination délibérée de virus, de bactéries, de toxines ou d’autres agents dangereux dans l’intention de provoquer des maladies, de tuer des personnes ou des animaux ou de détruire des espèces végétales ». Bien que la lutte contre le terrorisme demeure l’objectif commun, par excellence, de la majorité des agences de renseignement, le bioterrorisme constitue une priorité seulement pour quelques-unes d’entre elles.

 

Organisations internationales à vocation sécuritaire face aux défis de cette pandémie

L’ONUDC (Office des Nations unies contre la drogue et le crime), Interpol (Organisation internationale de police criminelle) et le GAFI (Groupe d’action financière) n’ont pas tardé à sensibiliser les pays contre les risques de criminalité auxquels ils pourraient être exposés en cette période de crise sanitaire.

L’ONUDC ne se prive pas de sensibiliser les Etats contre les risques criminels pouvant s’accentuer et évoluer à l’occasion de cette pandémie. Cette agence onusienne les invite à se mobiliser, en permettant aux organes sécuritaires de poursuivre leurs efforts et de tenir compte de cette situation exceptionnelle.  Celle-ci met également en avant l’importance de la coopération internationale, notamment avec les institutions internationales à vocation sécuritaire : Interpol, GAFI, ou encore Europol (Agence européenne de police criminelle. Ce qui permet aux dites instances d’élaborer une analyse pertinente des différentes menaces criminelles et d’éclairer les gouvernements sur les décisions stratégiques les mieux appropriées à adopter. Blanchiment de capitaux et financement du terrorisme, cybercrimes, corruption, fraude fiscale et non fiscale et escroqueries en tous genres sont autant de crimes nécessitant de tirer la sonnette d’alarme.

Pour sa part, Interpol œuvre dès le début à sensibiliser ses 194 pays membres contre les risques criminels liés au Covid-19. Cet organisme intergouvernemental n’a pas manqué de mettre en garde, dès le 13 mars 2020, contre les escroqueries financières liées à cette pandémie. Deux semaines après, il procède à la publication d’un guide destiné aux services chargés de l’application de la Loi, afin de leur permettre d’intervenir le plus efficacement possible aussi bien à l’égard du public qu’à l’encontre des criminels. Le guide en question comprend des orientations pour le maintien de l’ordre public, le contrôle des frontières, ainsi que l’accompagnement des autorités sanitaires. Le mois suivant, Interpol élabore un rapport spécifique consacré à l’évaluation des menaces mondiales liées à cette pandémie. Parmi celles-ci, le rapport mentionne une recrudescence des cybermenaces relatives aux logiciels malveillants et aux rançongiciels. Ledit rapport fait également référence aux risques, notamment de fraude et de contrefaçon de médicaments et d’anti-viraux et d’accroissement de la vente de drogue via le darknet.

Quant au GAFI, bien que ce groupe de travail n’ait pas encore été érigé en véritable organisation internationale, celui-ci démontre, une fois de plus, son apport fort considérable dans la prévention et la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (BC/FT). Ce groupe de travail international a ainsi publié un document sensibilisant les pays sur l’application de ses recommandations, selon une approche exclusivement fondée sur les risques. Un document qui se focalise sur les trois éléments ci-après :

-         _ les nouvelles menaces et vulnérabilités issues de la criminalité relatives à cette pandémie, ainsi que les impacts du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ;

-         _ l’impact du Covid-19 sur les efforts de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme  des gouvernements et du secteur privé ;

-         _ des orientations aux gouvernements, en vue de porter une attention particulière aux activités caritatives et aux mesures de relance économique et de sauvetage financier pour les entreprises et les particuliers.

 

En outre, le GAFI a décidé, en ces circonstances exceptionnelles, de reporter temporairement les délais d’évaluation et de suivi des dispositifs nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il a également estimé que les listes des juridictions soumises à une surveillance accrue ne seront pas revues lors de sa prochaine réunion plénière prévue au mois de juin 2020, accordant aux pays concernés un délai supplémentaire de quatre mois pour remédier à leurs insuffisances.

Finalement, force est de constater que la plupart des Etats se mobilisent dans la gestion de cette crise pour palier essentiellement aux risques sanitaires et sociaux-économiques, négligeant assez souvent les risques criminels.  Les organismes internationaux d’évaluation ne manqueront pas de relever qu’ils n’ont pas été assez réactifs face aux phénomènes criminels engendrés par le Covid-19. Un tel constat pourrait affecter, de manière négative, leurs notations et ne sera pas sans conséquence, y compris sur le plan économique.

Yassir Lahrach (E-Mail : lahrachyassir@hotmail.com)

Evaluateur international des dispositifs nationaux de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme