De nombreuses équipes de chercheurs qui tentent de « réparer » les axones ont identifié des protéines neuronales capables de favoriser ou d’inhiber la repousse.
Réseau de neurones

Les synucléinopathies, ou pathologies de l’alpha-synucléine, sont des maladies cérébrales neurodégénératives liées à l’accumulation anormale d’agrégats de protéines alpha-synucléines dans les neurones et les cellules environnantes, les cellules gliales. Les plus connues : la maladie de Parkinson, qui concerne 1 % des personnes de plus de 65 ans (100 000 à 120 000 malades en France), la démence à corps de Lewy et l’atrophie multisystématisée. Dans la maladie de Parkinson, les agrégats provoquent la mort de certains neurones, ce qui explique les symptômes moteurs : tremblements, rigidité des muscles, lenteur des mouvements. Aucun traitement, qui empêcherait la mort neuronale ou l’agrégation de la protéine pathologique, n’existe à ce jour, même si plusieurs pistes sont envisagées. Rita Raisman-Vozari, Julia Sepulveda-Diaz et leurs collègues, de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) à Paris, viennent de montrer qu’un antibiotique classique utilisé depuis plus d’un demi-siècle pourrait éviter la mort des neurones en modifiant l’agrégation de l’alpha-synucléine.

 

L’alpha-synucléine est une protéine présente dans toutes les cellules, mais dont la fonction « normale » reste méconnue. En revanche, pour des raisons également inconnues, dans certaines conditions, elle se modifie et s’agrège pour former des « oligomères », des associations de plusieurs protéines, puis des « fibrilles », des enchevêtrements de plusieurs oligomères. Les fibrilles provoquent alors une activation du système immunitaire et la libération de facteurs inflammatoires, qui perturbent l’activité des mitochondries (les centrales énergétiques des cellules). Des molécules oxydées toxiques apparaissent alors – ce que l’on nomme le stress oxydatif –, qui, à leur tour, amplifient le phénomène d’agrégation tout en abîmant la membrane des cellules. Tous ces facteurs contribuent à la mort des neurones.

Les chercheurs tentent donc d’agir à différents niveaux de ce processus : bloquer l'inflammation, empêcher l’agrégation de l’alpha-synucléine, limiter le stress oxydatif, rétablir l’activité des mitochondries. Mais la plupart des molécules efficaces in vitro ne protègent pas les neurones in vivo, chez l’animal ou même chez l’homme. Sauf une : la doxycycline, un antibiotique de la famille des tétracyclines, qui tue les bactéries, mais qui a aussi un effet protecteur chez les animaux développant une maladie de Parkinson.

 

Comment agit cet antibiotique ? Des études antérieures ont montré que la doxycycline a des propriétés anti-inflammatoires et anti-oxydantes, qui ne sont toutefois pas suffisantes pour expliquer la protection neuronale. Les chercheurs de l’ICM ont donc supposé qu’elle avait une autre cible. En faisant incuber de la doxycycline avec des protéines alpha-synucléines et en utilisant des techniques d’observation moléculaire comme la microscopie électronique à transmission et la spectroscopie par résonance magnétique, ils ont constaté que les oligomères ne se transformaient jamais en fibrilles et que l’antibiotique se liait à des sites spécifiques des oligomères et bloquait ainsi leur agrégation : ils adoptent une structure dite en feuillet bêta, différente de celle formée sans antibiotique et incapable de s’agréger en fibrilles. Puis, en plaçant des cellules en contact d’alpha-synucléine et de doxycycline, les chercheurs ont montré qu'elles ne mourraient plus, leur membrane n’étant pas détruite.

Ainsi, la doxycycline remodèle les oligomères d’alpha-synucléines en une forme non toxique. Mais elle ne se fixe pas sur les monomères, les protéines non associées, qui ont probablement des fonctions importantes dans les conditions normales. La doxycycline traverse la barrière protégeant le cerveau et a également des actions anti-inflammatoires et anti-oxydantes. Et ce, dès une concentration de 20 à 40 milligrammes par jour, bien inférieure à celle ayant un effet antibiotique. Il est donc envisageable de l’administrer chez l’homme. Un essai clinique sera prochainement lancé pour évaluer son efficacité chez les patients atteints d’une synucléinopathie.

Bénédicte Salthun-Lassalle

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